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17 février 2015 2 17 /02 /février /2015 17:00

« Prière de ne pas lever les volants ». La feuille A4, maladroitement collée à la fenêtre scintille dans la lumière blanche du néon. Ca fait 5h qu’elle est allongée là, sur ce lit. La tête de son mari posée à côté du bras qui porte le cathéter lui apporte un peu de chaleur. « Prière de ne pas lever les volants ». Comme si on devait la cacher du monde extérieur. Comme si l’accouchement devrait rester secret. Chhuut…cachez-moi, je suis en train de mettre au monde un enfant. Que personne ne voie ma souffrance ! Les douleurs ont commencé, comme la première fois, dans la soirée. Le travail s’est déclenché à 1h du matin. Une sensation qu’on n’oublie pas quand on est déjà maman. Une sensation de déchirement. Quelqu’un essaie de forcer le passage.

Advienne que pourra. 5h déjà dans la salle de naissance. Relayée aux appareils, paralysée (oui, la péridurale est un choix et tant mieux). Le liquide se diffuse de manière inégale, alors les douleurs persistent sur le côté droit. Est-ce qu’elles sont supportables ? Est-ce qu’elles le sont parce qu’elle n’a pas d’autre choix? Elle voudrait dormir, mais elle attend que la sage femme revienne avec les nouvelles. Elle a la bouche sèche et tuerait pour une goutte d’eau. Mais la sécheresse est le prix à payer pour ne pas sentir ses douleurs. La sage femme revient. Elle a l’air fatiguée. En début de nuit son maquillage impeccable contrastait avec la pâleur de sa patiente. Quelques accouchements plus tard, elle aussi elle est pâle et a l’air fatiguée. Mettre au monde des enfants n’est pas un métier tranquille. La sage femme la consulte. Non, non…ce n’est pas encore le moment, la dilatation n’est pas complète. Il faudra attendre encore. C’est mythe, on n’accouche pas forcément plus rapidement pour un deuxième. Mais est-ce qu'on l'aime autant?

Puisqu’elle a le luxe d’attendre sans trop souffrir et puisque de toute façon elle ne peut aller nulle part, elle s’offre le plaisir de flipper. Non pas pour l’accouchement, elle est quand même dans un bon hôpital, mais pour son premier enfant et pour son deuxième : comment est-ce que son aîné va encaisser l’arrivée de son frère ? Pourra-t-elle aimer autant ce deuxième bébé ? Ca semble difficile, voire impossible, d’aimer quelqu’un si ce n’est de la même façon, avec autant d’intensité. Sera-t-elle à la hauteur de son rôle de maman de deux enfants ou sentira-t-elle, comme plusieurs de ses copines qu’elle est plus proche de l’un que de l’autre ? Toute la grossesse elle s’est posée cette question. Même si ce ventre a été autant caressé que celui d’avant. Même si les moments de complicité avec ce bébé qui va naître vont être tout aussi doux et magiques. Peut-on aimer ses deux enfants de la même façon ? La question la tourmente et lui fait oublier les douleurs qui se font de plus en plus fortes. C’est peut-être le moment d’envoyer une nouvelle dose. Mais avant, la sage femme propose de rompre la poche des eaux. Quelle ironie ! Pour quelqu’un qui a fissuré la poche des eaux une fois, ne jamais accoucher par rupture franche de la poche des eaux. La nature est mystérieuse et capricieuse. La rupture de la poche des eaux ne fait pas mal. C’est ce qu’on dit. Peut-être. Si elle arrive naturellement. Lorsqu’on force la poche des eaux, en maternité, c’est une autre paire de manches. Alitée, incapable de bouger, reliée aux appareils qui bipent, elle ne veut qu’une seule chose. Arrêter de la trifouiller. 

Le trifouillage ne fait que débuter, ma chère dame. Essaie de dormir un peu, ça te fera du bien. Mais le sommeil refuse d’arriver. Pourtant il serait si précieux. Elle sait à quoi ressembleront ses nuits pendant quelques mois. Les nuits blanches, les seins qui font mal, le lait qui tache le lit, ce lien insécable avec son enfant qui la transforme en animal. Ce lien de sang et de lait, cette chaleur de deux corps qui se sont confondus et qui se confondent encore quelques temps après cette violente séparation qu’est l’accouchement. Seule une femme, une maman peut comprendre la valeur de ce lien tellement beau, tellement épuisant, qui fait qu’elle saura se réveiller pour le nourrir avant que lui-même sache qu’il a faim. Magie et doux esclavage.

Les bips bips bips bips du monitoring s’enchaînent. La tête noire de l’homme d’à côté bouge légèrement. Lui aussi est fatigué. Il a des cernes. Est-ce que pour cet enfant il trouvera le courage de pleurer ou la pudeur prendra encore le dessus ?

Tu peux envoyer une nouvelle dose ? Elle vient de sentir un mouvement énorme, comme si on essayait de déménager ses organes. Non, de les broyer. Le bébé passe dans le bassin, annonce la sage femme. Elle est de retour. Envoie une nouvelle dose, s’il te plaît. Cette sensation est insupportable. Ce n’est pas elle qui a la pompe, mais lui. Non, on ne peut pas envoyer de nouvelle dose, pas si souvent. Et le cauchemar continue. Un écartèlement, ça doit ressembler à ça. Ensuite la sage femme (la nouvelle !) vient et lui explique qu’elle doit pousser, c’est l’accouchement qui la délivrera de la douleur. Pousser, mais avec quelles forces ? Cette douleur va chercher jusqu’au plus profond de son âme. Elle est insoutenable, elle arrache les organes, fait arrêter le cœur, donne envie de vomir.

Pousse, pousse…pousse.

La délivrance. Le petit corps fripé et un peu violet sort enfin. La sage femme le prend et l’enveloppe dans un drap blanc. La mère regarde son fils, son deuxième garçon. En une seconde le souvenir de la douleur s’estompe. Seulement une vague sensation reste, comme à la sortie d’un rêve. Son bébé sur la poitrine, c’est tout ce qui compte. Et c’est tout aussi magique que la première fois. Il a suffit de l’avoir sur soi pour savoir, sans aucun doute possible, comment toutes les questions étaient inutiles. Une maman et son bébé.

Mon fils et moi.

Mon deuxième petit miracle, arrivé de manière si inattendue.

Prière de ne pas lever les volants. Que personne ne puisse espionner ce moment. 

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