Je n'ose pas aller faire la prise de sang. Voilà, j'ai peur d'y aller. Les deux ordonnances que j'ai me disent qu'à partir d'aujourd'hui je pourrais aller faire le dosage, mais j'ai peur d'y aller. Tellement peur que j'ai envie de vomir, que je sens mes membres trembloter, comme avant les examens à la fac. J'ai un noeud dans la gorge. Parfois il descend dans le ventre. Je suis à l'affût de tous les symptômes. J'ai un peu mal au ventre. Il y a des minutes où je me dis que ce sont les règles qui arrivent et des minutes où je me dis que ce sont les cerises que j'ai mangées à midi. Je ne supporte plus cette attente, que je m'impose à moi même, par ailleurs.
Mais je ne peux pas aller faire une prise de sang. J'en ai fait tellement avec le même résultat négatif que j'ai peur d'y aller. C'est ce que j'ai dit à ma gynéco la dernière fois que je l'ai vue. "Je suis désolée, je sais que vous voulez être sûre que je ne suis pas enceinte, pour que je puisse prendre ce médicament, mais je ne pense pas être enceinte, je n'irai pas faire une autre prise de sang". Depuis un an je dois faire des prises de sang et des examens tous les mois. Pour l'une ou l'autre. C'est comme ça, on m'analyse. Et maintenant, je n'y crois plus. J'ai le coeur serré, je connais tellement bien les réponses, par téléphone ou les fiches avec les résultats qu'on nous donne. Avec le même sourire qui ne veut rien dire de l'assistante du labo...ça veut rien dire, parce qu'elles savent qu'il n'y a rien à dire, la feuille ne dit rien. Les taux de B HCG sont restés bas à chaque fois. Dans ma tête, je n'arrête pas de repousser le jour de la prise de sang. Je me dis que ce n'est pas grave, que je vais attendre et si je suis enceinte je le saurai un jour! J'aurai des symptômes. Maintenant je n'en ai pas. Hier j'avais un peu mal aux seins, aujourd'hui...silence. J'ai l'impression d'avoir un peu des nausées, mais je me reprends et je me dis que tout est dans ma tête. Pour ne pas être déçue. Si je n'ai pas mes règles demain (demain ça fera vraiment 28 jours, soit 17 ou 18 après le déclenchement, je ne sais même plus comment compter) je pense que j'attendrai encore. J'imagine attendre et attendre et attendre...juste laisser la vie me dire que ça y est, je suis enceinte, le cauchemar est fini. D'antan on ne faisait pas tellement de prises de sang. On attendait d'avoir des retards d'une semaine, on apprenait par la force de la nouvelle vie qu'on était enceintes. Maintenant tout est monitorisé. Et moi j'ai peur de faire cette prise de sang!
Demain on a aussi notre premier RDV pour notre démarche d'adoption. C'est la 1ere réunion de 3h à laquelle tous les deux conjoints doivent participer. Je ne sais pas exactement ce qu'ils vont nous dire. On verra.
J'ai promis deux choses, si un jour j'arrive à avoir mon bébé, sorti de mes tripes :
1. Je me batterai pour adopter un enfant, parce que c'est la plus belle chose qui soit, donner de l'amour à un petit qui n'en a pas.
2. Je donnerai de mes belles ovules qui, pour l'instant ne me servent pas à grand chose. J'aurai moins l'impression que c'est du gâchis. Si je pouvais donner des ovules, je pense que je le ferais déjà, mais en France il faut avoir eu un enfant déjà. Le nombre d'ovules que j'ai dû gaspiller, ça me fait mal au coeur...
Demain me fait peur, mais je me promis aussi de survivre, de me battre contre cette fatalité aberrante qui donne des enfants aux gens qui ne veulent pas en avoir, ou qui ne peuvent pas les avoir, mais qui ne laisse pas leur chance aux gens qui en veulent au point de ne plus en pouvoir! Je vois ce que j'écris et c'est aussi absurde. Nous sommes tellement peu dans ce cas. Mon mari et moi sommes tellement seuls! Alors se révolter contre la vie en général n'est pas bien cohérent! La vie est bien faite, pour la majorité des gens. Sauf pour nous!
Le cercle vicieux est lancé : pourquoi moi, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça, qu'est-ce que nous avons fait pour devoir subir ce manque atroce qui nous ronge petit à petit? Je suis allée sur des forums, j'ai vu qu'il y a des cas qui ont moins d'espoir que nous, médicalement parlant. Mais je ne les connais pas ces gens. Je voudrais les voir et les toucher, les regarder dans les yeux, les prendre dans mes bras et pleurer un bon coup. Savoir qu'il y a des hommes et des femmes qui comprennent. Qui comprennent vraiment cette peine sans fin. Parler à des gens qui ont des enfants est inutile. Ils ne peuvent pas me reconforter. Je sais qu'ils pourraient essayer de me consoler, mais ça me ferait l'effet inverse. Ca me mettrait en rage, parce que je n'ai pas besoin d'être consolée par des gens qui ne peuvent pas comprendre notre peine.Et j'en peux plus d'entendre : "Mais tu vas voir, ça marchera un jour". Quand j'entends ça j'ai encore plus envie de hurler : "Putain de merde, prends ton gamin dans les bras et remercie Dieu ou les astres, ou la nature ou personne si tu crois en rien, d'avoir pu le mettre au monde, mais ne me dis pas que tu sais que je vais avoir un enfant un jour, parce que tu n'en as aucune putain d'idée!".
On dit que ce qui ne tue pas nous rend plus fort : des conneries. Je n'ai jamais été aussi à fleur de peau que depuis 2 ans! Je sens ma joie de vivre me quitter petit à petit, la confiance dans la vie et dans les gens s'éteindre et ma jalousie s'accroître jusqu'à vouloir que personne ait de grossesse si je n'en ai pas. C'est horrible et c'est égoïste, mais c'est sincère. Ces jours j'arrive à être contente que pour des femmes qui réussisent, mais qui ont eu du mal. Comme si elles le méritaient plus que les autres. Peut-être bien que c'est vrai. J'essaie de tirer des points positifs de cette expérience, d'apprendre, mais tout ce que j'apprends c'est que je suis un être humain, avec quelques forces et beaucoup de faiblesses.