Il était une fois une très très bonne amie à moi, qui savait tout sur ma vie. Elle connaissait toutes mes joies, mes espoirs et mes attentes. Elle a été parmi les premiers à savoir que mon mari et moi "avons des problèmes". Je déteste cette expression toute faite, il faudrait que j'en invente une autre. Elle savait que parfois cette douleur me réveillait la nuit et que l'attente et l'incertitude me rendaient dingue.
Mon amie me racontait plein de choses aussi sur sa vie. L'abandon de sa mère, ses pensées noires, la relation avec son mec, ses doutes qu'il était avec elle "par défaut". Je pensais tout savoir sur sa vie. Je l'aimais beaucoup mon amie. C'était la personnne à laquelle je faisais le plus confiance, à part mes amis d'enfance. De temps en temps, pas très souvent je lui demandais si elle voulait avoir des gamins. Systématiquement, elle m'assurait, avec toute son énergie, que la question ne se posait même pas, qu'elle était à 2 doigts de quitter son gars, qu'elle en avait marre, qu'il ne voulait pas s'engager et qu'en plus elle avait un moyen contraceptif qui ne s'enlevait pas tout seul. Donc systématiquement, je me faisais des soucis pour elle, parce que je voyais qu'elle était malheureuse.
Et puis vient le mois d'octobre (2010). D'un coup, mon amie, que je voyais toutes les semaines et que j'avais tout le temps au téléphone, ne me donne plus de nouvelles. Je l'appelle, elle m'envoie des messages courts en me disant qu'elle est malade et que son mec prend soin d'elle. Naturellement, je m'inquiète et je lui propose d'aller l'aider si elle a besoin de quelque chose. Un mois et demi que je ne la vois plus. Je ne sais plus quoi en penser, donc je l'appelle à nouveau. A priori ça va mieux, elle me propose de manger chez elle. Tout se passe bien, je suis contente de la revoir, elle part à Venise. J'adore Venise, je lui donne quelques bons plans.
A la fin du repas, elle s'allonge sur le canapé, comme d'habitude et nous papotons. Au bout d'un moment, elle nous regarde, la mine sérieuse, comme pour nous annoncer une tragédie :"Les amis, nous avons quelque chose à vous dire (Je me dis que c'est foutu, ça y est, ils se séparent. Mon coeur bat vite, je m'attends au pire...) Si tout va bien, dans quelques mois nous aurons un enfant!"
Un grand blanc dans ma tête. Mon sang ne circule plus correctement! Je lève les yeux. La bienséance est plus forte que mon envie de lui crier :"Tu te fous de ma gueule?". La bienséance gagne. "Félicitations!". La soirée continue avec des détails sur ce début de grossesse. Les minutes me semblent des années. Je suis sonnée, je ne comprends plus rien, je me suis posée la question si c'était un accident, mais je comprends que c'était voulu. Je décide de partir, comme je ne suis plus très à l'aise. Je rentre chez moi avec mon mari. Je rentre dans la chambre et mon regard tombe sur une icône peinte sur bois, que ma mère m'a offerte. C'est une icône de la vierge. Je la prends et je la balance de toutes mes forces. Dieu n'existe pas!
Le lendemain, mon amie m'envoie un email, pour me demander si la nouvelle ne m'avait pas fait de la peine. Je n'avais pas dormi de la nuit, pour être honnête. J'ai pleuré comme pour un enterrement. Je ne sais pas pourquoi. De peine qu'elle ne m'ait jamais partagé ses envies, qu'elle m'ait mentie sur sa vie et sur son mec, de jalousie, parce qu'elle est enceinte et pas moi. Je lui réponds par mail que ce n'est pas vraiment la nouvelle qui me bouleverse, mais son manque de confiance en moi. Elle me répond en retour qu'elle n'avait pas eu le temps de m'en parler, aussitôt décidé d'avoir un enfant, aussitôt tombée enceinte. Que je pouvais et devais lui faire confiance. Je lui fais un mail de 2 pages pour m'excuser de ma réaction sèche, pour lui dire que j'étais contente que tout se passe bien pour elle et qu'elle ait trouvé une belle sortie à ses soucis avec son mec.
Je lui écris ça, mais au fond de moi c'est toujours le vide intersidéral. La torture! Je n'arrive pas à être contente pour elle. Je n'y arrive pas. Je pleure tous les jours.
Et puis un jour je vois un ami de son mec. Qui me dit qu'il leur avait annoncé la grossesse et qu'il avait raconté que ça faisait 5 mois qu'ils essayaient. Le ciel tombe! Non seulement elle ne m'avait pas parlé de ses envies, mais elle me mentait depuis des mois. Pendant qu'elle me racontait qu'elle voulait quitter son copain parce que ça n'allait pas, qu'elle m'assurait que les idées de gamins étaient loin, elle essayait en fait de tomber enceinte. C'est trop pour moi, ma tête fatiguée déjà par ma propre douleur et par ce combat débile d'avoir un gosse, ne tient pas le coup. Je lui en veux terriblement.
J'ai coupé, depuis ce jour, les ponts avec mon amie. D'un seul coup, la personne qui était la plus présente dans ma vie n'était plus là. Supporter cette absence a été comme regarder tous les jours une blessure rouge, profonde, qui ne veut pas se fermer. Elle me manquait cruellement, mais je n'arrivais pas à lui pardonner. Un soir, quand elle était à 5 mois de grossesse, je prends mon téléphone, j'avale ma fierté et je l'appelle. Forcément, elle ne répond pas. Pour elle je suis un monstre qui n'arrive pas à être contente pour son amie enceinte. Elle a peut-être raison. Je lui laisse un message sur le répondeur, en disant que je voulais parler de...tout ça. Elle ne me rappelle pas. Quelques mois après mon mari aussi essaie de la joindre plusieurs fois. Sans succès, évidemment. Elle sort une seule fois de son silence, en expliquant que ce n'était pas à mon mari de l'appeler, mais à moi, mais que vraisemblablement nous n'avions rien à nous dire, parce que rien ne justifiait ma réaction. Grosso modo : nous n'avons plus rien à se dire. Jamais.
Les mois passent, je remplis ma vie autrement, je galère parce que malgré le fait que sois fâchée et que je ne lui pardonne pas, elle me manque. Elle accouche. Mon mari me dit qu'il a envie d'aller les voir. Pour moi, ils n'existent plus. Ma vie est faite autrement maintenant, avec d'autres amis, des visites chez ma gynéco de PMA, des piqûres, des hormones déçues, la pilule entre deux cycles pour reposer mon corps, ma grossesse miracle qui s'est arrêtée trop tôt. La vie a continué sans elle, elle s'est refaite.
La semaine dernière, mon amie, que je n'ai pas vue depuis un an m'envoie un email pour m'inviter chez elle, ils font une fête pour l'arrivée de leur petite. Je suis perturbée, je ne sais pas quoi faire et pendant 2 semaines je me dis que je n'irai pas, c'est fini et ça ne pourra jamais recommencer. A quoi bon de recoller des morceaux, qu'on ne sait plus à quoi ils appartient. Mon mari me dit qu'il comprend, mais qu'il ira quand même. Je suis tellement pas claire sur ce que j'ai envie de faire, que j'appelle tous les amis pour leur demander leur avis. Naturellement, ils ne savent pas quoi me dire, c'est à moi de décider. 30 minutes avant que mon mari parte, je décide d'y aller. Crever cet abcès, lui montrer que ce n'est pas la peine de s'éviter, que nous sommes deux femmes intelligentes et pouvons passer des soirées ensemble sans foutre tout le monde mal à l'aise.
J'y suis allée. Au début nous n'avons pas beaucoup parlé, parce qu'il y avait du monde. Avant que je parte, je lui dis au revoir dans la cuisine. Je dis une connerie et elle rigole. La glace se brise, elle me raconte sa dépression post partum. Ça a l'air tellement dur ce qu'elle a vécu, que j'en ai des frissons. Je n'arrive pas à imaginer et je ne veux pas imaginer comment une maman qui vient d'accoucher peut vouloir se jeter par la fênetre. Les gens défilent et j'ai envie de rester avec elle, pour qu'elle me raconte ses peines. J'ai envie de lui dire que je sais ce que c'est la souffrance, la culpabilité, que j'ai perdu mon bébé il y a 2 mois, partager ma peine avec elle, comme avant. Je ne le fais pas, je suis trop pudique avec mes douleurs! Je décide finalement de m'en aller, c'est tard et je suis fatiguée de la veille.
En partant j'ai envie de pleurer!